Même si la Belle se met à bêler, elle reste une louve carnassière.
Plus le succès était au rendez-vous, plus le parolier dépérissait. Tout avait commencé un samedi de printemps. (Tel Roméo sous le balcon de Juliette.) Dans une maison d’hôtes où il avait décidé de se retirer pour trouver l’inspiration, Hugo le chansonnier, troubadour de l’amour avait rencontré Sarah, magnifique naïade qui louait la suite attenante à la sienne. Attirante, un brin séductrice, elle était de cette beauté du diable qui vous sépare de votre raison, dès le premier regard. L’air de rien, lorsque la belle était venue sur la terrasse de sa chambre, il avait gratté quelques accords sur sa guitare et fredonné deux ou trois couplets, aux rimes maladroites, d’une voix hésitante, tant l’émotion lui faisait perdre son aisance avec les mots. La muse improvisée avait souri, puis ri à gorge déployée. Encouragé, le compositeur s’était enhardi et avait poursuivi à égrener d’une voix plus assurée refrains et chansons. Les deux inconnus s’étaient rapprochés jusqu’à ce baiser qui avait plus l’air d’un fuego del amor que de la bave d’escargot. S’ensuivirent de longues promenades en forêt ou en bordure de mer sur cette île qui fleurait bon les embruns et les roses trémières, ces passagères éphémères qui s’incrustaient entre les pierres.
Dynamisé par cette idylle naissante, Hugo calligraphiait autant aisance les mots justes pour chaque émotion qu’il évoquait que les notes et accords de musique sur la portée. Emporté par sa fougue créatrice, soutenue des battements de cils de sa nouvelle égérie, Hugo envoya quelques-unes de ses chansons d’amour à un producteur. Celui-ci subjugué par l’intensité émotionnelle qui émanait des couplets romantiques, avoua par la suite avoir versé une larme. Heureux de ce nouveau talent, le producteur proposa à Hugo comme on dit dans le jargon « un pont en or ». Chaque nouveau titre du prodige accédait directement au top des cinq des meilleurs tubes du moment. Hugo était adulé par un large fan club, autant féminin que masculin. On le réclamait de toutes parts, les radios diffusaient ses chansons en boucle, les chaînes de télévision se battaient pour le recevoir dans leurs émissions musicales. Après plusieurs disques d’or voire un disque de platine pour son tube de l’été « Je vague à l’âme, elle vogue à l’homme », certains n’hésitaient pas à court-circuiter son agent en l’appelant directement, les organisateurs de fêtes et concerts locaux comme les journalistes de magazines people le traquaient jour et nuit afin d’obtenir une prestation ou une interview. Son nom à l’affiche était une garantie d’un public nombreux à venir l’écouter ou à le lire, et par voie de conséquence une source non négligeable de gains substantiels. Ses couplets étaient puissants, précis, composés de mots choisis, aiguisés comme la plus fine lame d’un épéiste, vous transperçant le cœur et en y tatouant aussi bien l’amour et la beauté que la mort et la nostalgie. Le public était suspendu à ses explications sur les raisons de son succès phénoménal. Il se murmurait que seule une femme pouvait lui procurait cette verve créatrice et voluptueuse. Or au grand dam des curieux, Hugo ne laissait rien fuiter de son égérie.
Toutefois, à chacune de ses apparitions publiques, comme à chacun de ses succès largement médiatisés, l’auteur-compositeur semblait vieillir, se racornir ; se rabougrir ; se vider de sa vie. Son essence d’être paraissait vampirisée par une force invisible. Au fur et à mesure de son succès, il s’enfermait dans sa prison de gloire. Plus son verbe gagnait en notoriété plus son apparence déclinait.
Son ascension du mont Célébrité était entrecoupé d’escales marines entre la lagune et le lichen où en toute discrétion il avait rendez-vous avec sa belle. La voir, la toucher, la respirer, lui était essentiel pour écrire, et mettre en mots tous les sujets du plus sérieux au plus polisson. Aligner voyelles et consonnes, imaginer les plus belles métaphores, il ne pouvait le concevoir sans les baisers régénérants de sa lady. Plus il l’embrassait, lui décrépissait alors qu’elle lui semblait de plus en plus jeune et désirable. Il travaillait sans relâche sur sa terrasse de bois de teck, à l’abri du monde, derrière une haie de seringats et de bambou. Ses retraites océanes, bercées par le ressac de la mer proche et de la présence de sa muse l’épuisaient, car il mettait dans ses productions jusqu’à la dernière goutte de sa sève créatrice. Son agent et son producteur commencèrent à entrevoir une corrélation entre l’ascension fulgurante de leur poulain et son étonnante pâleur assortie d’une extrême minceur. Interrogé, Hugo répondit qu’il avait fait lors d’un stage de pleine conscience en forêt de Brocéliande, à la fontaine des désirs, le vœu de donner jusqu’à son dernier souffle de vie pour être le numéro un de toutes les ventes, avant d’y jeter son bien le plus précieux, son stylo plume sergent major offert par son père lors de la réussite de son baccalauréat.
Vint le jour où Sarah commença à manquer les rendez-vous au lieu de leur rencontre. Hugo prolongeait ses escapades espérant que la belle avait eu un contre temps, plus pour apaiser une angoisse naissante, que pour justifier son retard. La jolie Naïade restait muette aux innombrables messages et appels de son soupirant. Dépité, le parolier n’avait plus le cœur à agencer mots et phrases pas plus qu’à noircir les portées de ses cahiers de musique. Son style devint fade, mièvre. Plus de rythme ni de sonorités qui s’entrechoquaient avec harmonie. Même sa guitare devint muette. Les cordes se rompaient pour un oui ou un non. Les ventes de ses titres chutèrent au rythme de sa déchéance physique. Son agent devint fuyant et son producteur soudainement très occupé au point de ne plus avoir le temps d’écouter les nouvelles propositions, moins enflammées, plus sombres voire morbides, d’Hugo. Lui revinrent alors en mémoire ces mots de Sarah « Sois indépendant ». Il n’avait rien compris à cet adage digne d’un oracle de l’Antiquité. Tout s’éclairait. Il comprit qu’il avait fait de Sarah, la source de son succès lui abandonnant son libre arbitre, pire son essence de vie. Il lui avait voué allégeance et s’était oublié. La belle lui avait aspiré tout son capital vie. En fait lui-même avait créé cet assèchement lors de son vœu en forêt de Brocéliande où il avait manifesté son intention de donner jusqu’à son dernier souffle pour obtenir le succès.
Fort de cette prise de conscience, sa confiance en lui augmenta. Dans un sursaut de dynamisme, il s’en alla pour trouver l’inspiration sur le sentier côtier. Il ne comprit pas pourquoi une mouette non pas rieuse, mais rageuse piqua sur lui. Il voulut la chasser, ses mouvements de bras le déséquilibrèrent, son pied glissa et il chuta de la falaise. Agonisant sur les rochers, alors que son dernier souffle s’échappait, les paupières mi-closes, il vit la mouette se poser, puis prendre l’apparence de Sarah. Chose étrange, elle avait les yeux rouges. La vie l’abandonna sur un rire sardonique de sa muse qui criait : « Bienvenue en Enfer ».
Bonjour Mijo
Le titre m’avait laissé perplexe ! « Le belle », c’est voulu ? Mais le récit tient toutes ses promesses jusqu’à la révélation finale. Pauvre Hugo ! La passion fait faire de grandes choses mais on s’y brûle souvent, il y laisse son énergie vitale. Et la sale bête veut son dû.Le style est fluide, il se dégage une vraie musicalité de l’ensemble. Bravo !
Nadiège
Hello Nadiège, fidèle lectrice.
Ce titre n’est certes pas la panacée, et en plus avec une erreur de frappe comme tu le soulignes avec Valérie. Merci les copines, j’ai fait la correction en mettant du coup une majuscule à Belle 🙂 Tu as raison Nadiège comme la passion peut porter aux nues, elle peut aussi désintégrer jusqu’à devenir poussières ou cendres. merci pour ton commentaire sur la musicalité, c’est une sorte de signature les sonorités des lettres qui s’entrechoquent je crois.
Hello Mijo
Cette ascension et cette redescente m’ont étrangement fait penser au schéma « type » pyramidal d’un récit qui va culminer au climax et décroître vers sa résolution finale 😉
Sans ton titre, tu écris « le belle » est-ce une coquille ou pas ?
Quoiqu’il en soit la fulgurance de certains doit faire bien mal quand survient la chute !
Encore une bonne nouvelle (et je parle de ton texte ! 🙂 🙂
Cooki Valérie,
Merci de ton passage et de ta lecture. J’ai donc fait la correction du titre qui je l’avoue n’est pas éclatant 🙁 En tout cas c’est le schéma que tu décris qui a guidé ma narration. Les ascensions vers la gloire, la notoriété peuvent avoir des revers bien sombres, si l’on se laisse trop griser par l’euphorie de la réussite.
Mais as -tu un blog???
Mais ou va tu chercher tout ça..? on se le demande ? Eh oui le destin des troubadours est souvent tragique mais comme leurs balles de jonglage ils ont la faculté de rebondir.
Très belle fable (il y a une morale) très bien écrite (attention au débit dans l’emportement)
Bises
Hello Philippe,
Merci de ta venue. Oui, la capacité de rebondir, est toute aussi importante que la capacité d’adaptation pour moi 🙂
Merci de me rappeler que je dois veiller aux phrases trop longues. Une tendance que je peine à corriger. Lire à ahute voix ce que j’écris est pour l’instant la meilleure façon que j’ai trouvé pour m’y aider.
Au plaisir de te lire aussi.