La crinoline bleue.
Cette semaine sur Chroniques Atmosphériques, nous étions invités à se faire rencontrer deux personnages qui ne sont pas vue depuis dix ans, en intégrant les mots suivants: sinécure, cuistre, s’esbaudir, nidoreux et tintamarre.
Rodolphe, gardien du cimetière, savourait comme chaque matin son café serré sans sucre au bar de Gizou. Le troquet jouxtait la gare. Il aimait ainsi scruter, de la table près de la cheminée, le ballet des voyageurs encore tout engourdis par le trajet en train de nuit, qui ne manquaient pas la halte chez Gizou. Loin de l’ambiance nidoreuse du boulevard des allongés pour l’éternité, il riait de l’accoutrement de tel cuistre, ou des bibis à voilette assortis aux gants d’opéra des belles autrichiennes qui rivalisaient vêtues de leurs robes à crinoline, avec les parisiennes qui arboraient de somptueux corsages ourlés de dentelles fines, aux manches pagodes accessoirisés de la précieuse ombrelle marquise. Absorbé par son observation, Rodolphe ne fit pas attention à Gustave, pétrifié à côté de lui, le plateau d’un petit déjeuner café, viennoiseries et pain croustillant avec beurre et confiture en main, à hauteur d’épaule. Un tintamarre de vaisselle cassée, de cris d’indignation des échappés d’une galerie de Versailles, le ramena à la réalité. Il vit Gustave confus qui se précipitait honteux ramasser les éclats de porcelaine, éponger café et thé, nettoyer marmelade et beurre qui s’étalaient sur le parquet à défaut de tartines. Derrière son bar, Gizou s’était liftée le mépris sur le visage. Cela ne présageait rien de bon pour la pérennité de son emploi. Rodolphe remarqua qu’à la dérobée Gustave lorgnait en douce vers une table où s’était installée une femme vêtue dans une harmonie de bleu pervenche, qui faisait ressortir les yeux verts en forme d’amande, de l’inconnue. Inconnue par pour Gustave. La femme avait un sourire qui criait au secours, je meurs d’un chagrin d’amour. Lorsqu’il s’approcha d’elle pour prendre sa commande, Rodolphe eut la certitude que ces deux -là se connaissaient. Leur trouble commun se lisaient dans leurs yeux. L’incroyable se joua sous les yeux ébahis de Rodolphe, témoin de retrouvailles entre deux êtres qui s’étaient et s’aimaient sans doute encore. Immédiatement, elle reconnu sa voix, lorsqu’il lui demanda :
─ Bonjour Madame, avez-vous fait votre choix ?
Elle le fixa, accrochant son regard émeraude au lapis-lazuli du barista. Elle semblait plonger en lui à la recherche de son cœur pour y lire ce qu’elle attendait depuis dix ans. Le temps semblait suspendu. Rodolphe ne perdait pas une miette de l’échange non-verbal. Enfin :
─ Oui, ce sera un thé noir avec pain et beurre, sans confiture.
─ Grillées les tartines ? dit-il avec un clin d’œil.
Elle eut l’indice qu’elle cherchait. Qui pouvait savoir que le pain grillé était sa madeleine de Proust ? Et ce clin d’œil qui faisait surgir une fossette, certes quelque peu émoussée avec les années. C’était lui. L’agitation s’empara d’elle, son cœur s’emballait dès que la porte des cuisines s’ouvrait. Son visage s’éclairait d’une joie retrouvée dès que son regard accrochait celui de Gustave. Audacieuse, portée par un enthousiasme amoureux renaissant, elle osa laisser tomber son mouchoir au passage de celui pour lequel son moi de femme se réveillait. Rodolphe ne fut pas dupe du manège entre les deux tourtereaux. Il s’en amusait même, en oubliant son travail au cimetière, qui était loin d’être une sinécure, alors un peu de piment pour émoustiller sa vie, ce grain de folie qui lui manquait tant, qu’il saisit l’opportunité de s’esbaudir vraiment. Lorsqu’il ramassa le mouchoir, en découvrant les initiales brodées avec soin, il sut que c’était elle.. Mais que faisait-elle ici ? De surcroît seule et sans chaperon ? Sa main tremblait quand il lui rendit le mouchoir et que le sourire tendre qu’il reçut en obole le fit rougir jusqu’aux oreilles. Rodolphe emportait dans ce ping-pong amoureux faillit applaudir, tant il était heureux de voir le bonheur se répandre dans ce duo enamouré.
─ Voici votre thé et votre pain grillé madame, je me suis permis de vous ajouter une omelette.
─ Merci, c’est exactement ce que j’espérais après ce voyage éprouvant. J’ai besoin de forces pour les démarches chez le notaire d’une tante de mon père. Elle était ma marraine et vient de me léguer sa maison. J’ai décidé de venir m’y installer.
Gustave eut du mal à contenir sa joie et avant de tourner les talons, encore rouge jusqu’aux oreilles, lâcha :
─ Heureux pour vous Madame, bon appétit !
Rodolphe qui avait tout entendu, eut vite fait de faire le lien entre la dame en bleu pervenche et la défunte marraine. Son métier avait cet avantage, il lui permettait de connaître tout le monde, et les secrets de famille. Les gens s’épanchaient souvent avec lui, lorsqu’ils venaient en catimini se recueillir sur les sépultures. Ainsi, l’inconnue habiterait le manoir de Madame de Pont Pean de Chantilly. Après s’être restaurée, elle demanda l’addition. Gustave très attentionné, était venu lui proposer plus de thé. Il ne savait comment garder le contact avec visiblement un amour de jeunesse. Deux questions le taraudaient, était -elle mariée ? Avait-elle eu des enfants ?
Elle commanda une Stoewer, pour se rendre chez le notaire. Gustave s’empressa d’aider le chauffeur à charger les deux malles de la dame. Le regard implorant un rendez-vous, il l’aida à monter dans la vieille automobile. Ressentant la même déchirure, elle lui assura qu’elle reviendrait très vite pour un petit déjeuner avec cette fois œuf au plat sur pain grillé et le gratifia d’un sourire qui en disait long sur la suite de leurs retrouvailles.
Lorsque le troquet se vida de ces voyageurs de nuit, que les habitués du petit blanc du matin vinrent s’installer sur le zinc du bar de Gizou, Gustave prit une pause cigarette sur le banc de bois à l’extérieur des cuisines. Rodolphe qui s’en allait au cimetière, curieux ne put se retenir.
─ C’est encore une très belle femme.
Gustave fit l’étonné.
─ Allons mon garçon, à d’autres. J’ai une longue expérience des regards qui racontent ce qui ne se dit pas. Je ne vous ai jamais vu aussi troublé par un voyageur, depuis quinze ans que je fréquente votre troquet. Il faut que ce soit un amour pour vous faire ainsi chavirer votre plateau, vous le détenteur du titre du meilleur barista depuis dix années consécutives.
─ Rien vous échappe, Rodolphe ! Oui Isabelle, il y a dix ans était venue en vacances chez sa marraine, Madame de Pont Pean de Chantilly. Nous nous étions rencontrés à la fête des vendanges. Immédiatement nous nous sommes plus. Cependant, nos rendez-vous secrets ont été découverts par le majordome de son père. Pour obtenir quelques Louis d’or, il nous a dénoncé à son maître. Celui-ci est venu nous surprendre sur le fait. Isabelle a immédiatement été envoyée en pension en Suisse. Pensez donc, une aristocrate qui s’amourache d’un simple barista comme moi, cela faisait désordre. Nous avons bien tenté de correspondre par l’intermédiaire de Madame de Pont Pean de Chantilly, sa marraine, mais là encore notre stratagème fut mis à jour. D’ailleurs Madame, fut déclarée non grata aux réunions de famille des Pont Pean de Chantilly.
─ Vous en êtes toujours amoureux n’est-ce pas ?
─ Elle a ravi mon cœur. Je n’ai plus de place pour personne d’autre. Je donne tout à mon travail. La revoir ici, après toutes ces années, constater que nos sentiments semblent toujours être réciproques et intacts, est un miracle. Mais, elle a sans doute été promise puis mariée à un bon parti.
─ Ne tire pas des conclusions hâtives avant d’avoir eu une discussion avec elle. Je crois que son installation au manoir de sa marraine est un bon début, vu l’empressement avec lequel, elle t’a glissé l’information. Aies confiance en toi. L’amour se mérite.
Gustave écrasa sa cigarette dans son cendrier, se leva, regarda le vieux gardien du cimetière et le remercia pour ses encouragements. Dès ce week-end il irait au manoir éclaircir toutes les questions qui l’assaillaient.
Toujours la plume alerte ! J’aime bien ton idée de placer le gardien du cimetière en témoin direct et fin observateur de l’âme humaine.
Attention, tu vas devoir te relire pour corriger quelques coquilles dans tes verbes ! Et bravo pour l’insertion des mots !
Bises,
Valérie
Merci Valérie, ah cette relecture, trois ne sont pas suffisantes. Lorsque le nez est collé à l’écran on fini par ne plus rien voir. Le mieux est de laisser « mijoter »quelques jours avant publication , finalement. /° Merci de ton oeil averti
Oh que j’aime cette histoire! Bravo pour ce défi relevé!
Merci Josée. Bon dimanche 🙂
Bravo Mijo, jolie Petite histoire qui met du baume au coeur et ramène a des souvenirs agréables.
Qui n’a pas rêver de retrouver ses amours de jeunesse.
Hello Phil, oui tu as raison chacun de nous a dans le fond du coeur un rêve secret de retrouver un amour.
Quelle belle écriture ! J’aime le romantisme de cette époque. Comme Rodolphe, en observateur , on suit les jeux de mots et les regards pleins de sous-entendus d’Isabelle et Gustave .
Une histoire à suivre ….
Biz
Marie Christine
Merci Marie-Christine de ton enthousiasme et oui je vais tenter une suite 🙂
Belle histoire, très romantique. Tu as eu raison de nous faire voyager dans le temps et dans l’espace pour placer ces mots moins habituels pour certains aujourd’hui. Très réussi. On s’attache aux personnages et on aimerait connaître la suite. Bise
Nadiège
Merci Nadiège de ta lecture et oui je trouver les mots proposés plus adaptés pour une autre époque.
Au plaisir de te lire 🙂
Bonjour Mijo.
J’ai adoré cette plongée au coeur d’une autre époque et de ces retrouvailles tout en délicatesse.
Tu sais créer une atmosphère en quelques lignes et c’est un mur délice !
Un grand merci pour ta participation.
Déjà, l’illustration a accroché mon regard. Quant au texte, quelle belle plume. J’étais plongée dans un autre monde et ce parfum de pain grillé… Bravo !
Merci Isabelle, comme évoqué avec Nadiège, les mots imposés, m’ont suggéré de créer une histoire dans un autre temps 🙂