Ecoutez-moi!

Les pompiers étaient  là. Le cercle des badauds s’agrandissait entre les voitures. Tous les regards étaient levés vers elle, Julie une adolescente de 17 ans. Le projecteur des pompiers rendait  sa silhouette encore plus fragile sur la corniche du 8ème étage. La blancheur de sa peau contrastait avec l’obscurité de cette soirée. Chacun retenait son souffle lorsque Rudy, pompier aguerri, descendit en rappel  le plus délicatement possible à sa hauteur, luttant avec les fortes rafales de vent communes en ce début d’automne.

– Bonsoir, je m’appelle Rudy. Et toi ?

Pas de réponse, mais un vif mouvement pour avancer encore un peu plus ses pieds vers le vide. La foule, dans un réflexe à l’unisson pousse un « Oh ! ».

– N’aie pas peur, regarde je ne bouge plus. Je souhaite simplement discuter avec toi. J’ai tout mon temps, je t’écoute. Regarde-moi.

A ces mots une voix frêle, entrecoupée de sanglots et de reniflements dit : 

– Ju..Julie ! Mon nom.. c’est Julie !

– Bonsoir Julie! Raconte-moi ce qui se passe. Rudy lui sourit et l’enveloppa d’un regard bienveillant.

L’adolescente resta muette. Son chagrin lui soulevait la poitrine à chaque respiration. Patiemment, Rudy  attendit et lui manifesta  une présence chaleureuse, bien que silencieuse. Une façon d’apprivoiser une personne en état de choc, ou en détresse lui avait –on appris.

-Dis-donc ya des jeunes de ton lycée en bas. Ils s’inquiètent pour toi.

Là c’en était trop !

-ça va pas la tête ! bien trop heureux de me voir ici attendant que je fasse le saut de l’ange, pour poster hashtag # fin de la grosse dondon# ! Le mot était lâché.

-C’est quoi ce hashtag ?

– Putain ! ça s’voit pas non ! ch’uis grosse, laide, moche et j’ai rien d’une fille! hurla -t – elle.

-Regarde-moi ! J’ai des vêtements de mec. Ma mère m’a coupé les cheveux car j’ai refusé de lui faire son repassage.

 La colère lui fit perdre ses appuis et lorsqu’elle se rattrapa de justesse, elle perdit une de ses ballerines qui chuta dans la foule. Dans un réflexe tous les bras se levèrent comme pour faire de toutes ces mains un amortisseur de fortune.

Le silence qui suivit fut interminable. Pourtant une agitation se fit au poste de commande des pompiers au sol. Le capitaine avait fait venir la mère de Julie, qui pestait encore qu’on l’avait extirpée d’une plaidoirie lorsqu’elle s’arrêta net dans son élan. La gorge sèche, elle était stupéfaite de voir sa fille prête à sacrifier sa vie. Pâle, tétanisée elle se laissa guider à l’intérieur du camion. Accablée par la conversation entre Rudy et sa fille retransmise par radio, plus aucun son, ni mouvement ne s’échappa d’elle.

Rudy tenta de renouer le dialogue.

-Elle fait quoi ta mère?

– Avocate! C’est la grande Shirley Bazin, la reine des « cold cases », manucurée, coiffée et tirée à quatre épingles.

-Ah bon!

– Elle a  le syndrome « ô mon beau miroir »! Faut surtout pas qu’une nana soit plus élégante ou séduisante qu’elle!

En entendant ces mots, les larmes roulèrent sur les joues de la juriste qui perdait petit à petit de sa superbe.

 -Des fois, je lui pique des tenues dans son dressing pour les essayer en son absence , et voir ce que ça fait d’être habillée en fille. J’aime surtout essayer quelques paires de sa collections de Louboutin…..c’est pas facile de marcher avec des talons de seize centimètres de haut! continua Julie.

-Tu aimes les échasses?

-Oh oui, je kiffe. C’est agréable d’être une fille dans un corps de fille, avec des vêtements de fille. Ma mère ne veut pas entendre quand je lui dis que j’aimerais des pompes. Elle dit, « ça coûte cher! J’ai déjà du mal à me faire ma propre garde robe, et ton père qui n’est plus là pour m’aider. Tu t’en achèteras quand tu travailleras. »

La radio de Rudy grésilla : « La mère de la gamine vient d’arriver. » Immédiatement, Julie tressaillit et se renfrogna.

-Qu’est-ce qui ne va pas? Regarde -moi Julie.

Seule sa respiration saccadée et quelques sanglots étouffés étaient perceptibles. Puis..les mots coincés dans la gorge s’échappèrent pour évoquer l’affaire.

-J’ai dérobé un tailleur de ma mère et une paire de chaussures. Je me suis changée dans les toilettes du lycée. J’en avais assez d’être « la grosse dondon » ou « Julie l’iguane ». J’en avais marre des snaps, des story de moi et posts qui circulaient sur Facebook. Je voulais pour une journée ne plus être « la grosse », celle que les garçons draguaient uniquement pour se dégourdir dans …enfin tu vois ce que je veux dire

Silence encore. Julie reniflait et des cascades de larmes roulaient sur ses joues. Rudy, tenta alors de lui tendre un mouchoir.

-Je suis tombée…Mais le pire, c’est que je me suis cognée la tête sur l’arrête de l’escalier. J’ai été conduite à l’infirmerie du lycée, et mon chemisier pour je ne sais quelle raison s’était ouvert. Ils avaient vu…

Rudy attendit la suite, l’invitant du regard à poursuivre. D’une seule traite, Julie dévoila son secret.

-Ils avaient vu que j’avais fais appel aux rois du silicone, les papes du botox et du bistouri! J’avais volé ma mère et dérobé la carte d’identité de ma cousine puis aux dernières vacances, j’avais prétexté un voyage avec Zabou ma meilleure amie et je m’étais fait mettre des prothèses mammaires, et demandé une liposuccion de la culotte de cheval! Tout le lycée savait et bien sûr ma mère! Julie haletait et frissonnait.

-Tout cela est triste, et ne justifie pas que tu sois avec moi à vingt mètres du sol à papoter. Ne pourrions-nous pas descendre pour que j’en discute avec ta mère et toi, au chaud?

-Pas la peine. Fous-moi la paix! J’en ai assez des moqueries, et de l’indifférence. Elle ferma les yeux. Rudy saisit l’opportunité pour lui passer le harnais autour de la taille. Elle était sauvée.

La foule applaudissait tandis que la mère de la jeune fille, se rua hors du camion et courut pour serrer sa fille dans ses bras, sans un mot. Son éloquence avait laissé place aux gestes simples d’une maman qui avait écouté l’appel au secours de sa fille pour la première fois. La leçon de gestion du temps, de l’urgent à l’important lui sautait aux yeux.

7 Comments

  • Hello Mijo , j ai lu tes écritures. Toujours très stylée, tu choisis tes mots telles des briques artisanales que l’on pose une à une pour construire une maison … Tu vas finir par édifier un château au pays des rêves ! J’ai bien aimé l’histoire de Julie . Est-ce que cette Julie à des liens avec ta vie Calédonienne… possible ! Jean-Christophe

    • Cooki Jean-Christophe,
      Merci d’être venu me lire et de ton commentaire 🙂 Non Julie est vraiment sortie de mon imagination, alors tant mieux si elle te sembles réelle. Bizh

  • Hello Mijo , j ai lu tes écritures. Toujours très stylée, tu choisis tes mots telles des briques artisanales que l’on pose une à une pour construire une maison … Tu vas finir par édifier un château au pays des rêves ! J’ai bien aimé l’histoire de Julie . Est-ce que cette Julie à des liens avec ta vie Calédonienne… possible ! Jean-Christophe

  • En lisant tes mots, je les vois et les entends Julie et le pompier. C’est tellement bien écrit .

    • Hello Michèle, merci d’être venue me lire de manière attentive et bienveillante.

    • Quel talent ! Tu ne manques pas d’inspiration….Tous les sujets t’intéressent Continue sur ta lancée et Bonne chance…..

      • Merci Mado, pour ton commentaire et ta visite.

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