Comment m’est venue le désir d’écrire?

—Quelle journée splendide ! Vôtre fille ne vient pas au pique-nique ?

Ma mère de répondre agacée :

— Non comme d’habitude elle s’est vautrée sur son lit avec son maudit carnet et son crayon. Elle ne sait faire que ça, noircir des pages de mots. Rien ne l’intéresse plus que d’écrire. Sa dernière lubie, elle apprend les mots du dictionnaire. Ceux qui tintinnabulent dit-elle. Lui confisquer son carnet est la pire des sanctions.

Que toutes ces conversations d’adultes m’ennuyaient. Je me sentais isolée et ignorée. Sans cesse tournait en boucle dans leur bouche, les mêmes jérémiades ou doléances. Point d’amour ni de rêves et encore moins d’aventures de cape et d’épée, pas de suspens ni de magie ! J’étouffais dans ces discussions étriquées. Alors je m’écrivais des histoires, celles que j’aurai tant aimé qu’on me conte, m’inventais des amis, m’identifiais à des personnages hauts en couleur qui m’offraient une vie trépidante, me faisaient me sentir vivante. Lorsque j’étais enfant, dès que j’avais découvert la magie de ces lettres que je traçais en pleins et déliés, je cherchais des mots qui avaient des jambages pour les habiller à l’encre de ma plume. Toutefois très vite, cela ne suffisait plus à me rassasier, l’écriture était inévitable. Elle s’était révélée ma meilleure amie, ma confidente, mon essentielle.

C’est à ce moment là que tantôt j’embarquais sur un brigantin, les cales remplies de tonneaux chargés d’épices et de café, de coffres gorgés de louis d’or et de pierreries  aux côtés d’un pirate, que j’affrontais les corsaires du roi, telle un Robin des bois des mers. Les épisodes d’Angélique Marquise des Anges et Surcouf ont nourri ces envies de courir les océans. Parfois je chevauchais une jument blanche, avec une âme à la Jeanne d’Arc pour libérer des villages sous le joug d’un tyran. Je pouvais être aussi une warrior en mode Xéna, la guerrière dans un monde envoûtant de magie, de sorcellerie. Dans mon sommeil je voyageais dans des contrées inconnues, rencontrais des personnages surprenants, et je m’empressais au réveil d’écrire quelques mots clés pour ensuite sur le papier leur donner vie avec plus d’aspérité, de consistance. Des ateliers théâtre au collège puis au lycée, m’aidaient à investir des personnages tous plus différents. Je m’amusais à camper un accent, une posture, j’étais heureuse. Je répétais à haute voix ce que je voulais écrire en fredonnant les mots sur un air des sixties, pour ne pas oublier. Je griffonnais des expressions, des mots glanés dans mes lectures, des films, des chansons et surtout chez Arthur Rimbaud et Paul Verlaine, que je découvrais et dévorais en cachette sous mes draps avec une lampe électrique. En plus des jolis mots que j’accumulais dans mon précieux carnet, ces deux poètes m’offraient une autre piste, faire chanter voyelles et consonnes. Que cela était doux à mes oreilles ! Ecrire, et déclamer devenaient mes préoccupations essentielles. Dans le même temps Victor Hugo, Montaigne et Jean De La Fontaine m’apprenaient que ma plume pouvait être une arme effroyablement efficace contre l’injustice, et l’hypocrisie.

Au cours de mon adolescence, les billets rédigés pour la feuille de choux du lycée aiguisant mon style, incitèrent les copines et les copains  à me demander des jolis mots pour épater ou déclarer sa flamme. Je m’amusais de cette mission de scribe. Quotidiennement je calligraphiais hampes et jambages pour mon plus grand bonheur en permettant  à d’autres d’être heureux, de se trouver, de s’aimer. Même si je ne partageais par leurs exploits sportifs, leurs soirées de débauche, je pouvais rester moi-même, dans un « confinement » qui m’allait bien puisque l’écriture était avec moi, j’étais à la lisière de moi à l’orée d’eux.

Les années ont quelque peu chamboulé cette véritable passion pour la chose écrite. Une femme a effectivement vocation d’assumer un rôle de mère, d’épouse tout en conciliant sa vie professionnelle. Toutefois, j’ai eu la chance d’être enseignante en maternelle où chaque jour je transmettais mon amour des lettres dans l’apprentissage du maniement de l’outil scripteur. De surcroît, j’ai pu m’épanouir par l’écriture de contes pour ces loulous et louloutes qui n’étaient jamais assez rassasiés des aventures que je leur inventais. En outre, ils m’ont permis de leur écrire par deux fois un spectacle qu’ils ont joué avec toute l’intensité de leur âme d’enfant.

Ainsi plus que l’envie d’écrire, j’ai un besoin viscéral d’écrire cependant suis emberlificotée dans ce questionnement incessant sur le bien fondé de cette pensée que je déplie sur le papier. Ce doute permanent est rageant et castrateur parfois des belles envolées. Des émotions fortes, drôles et passionnantes se bousculent dans l’encre de mon stylo sans que je parvienne à les faire matcher ensemble pour en tirer un pitch digne de la substantifique moelle. Alors que certains m’enjoignent de faire ce best seller dont tout écrivain peut rêver, je ne sais pas en fait ayant expérimenté plusieurs chemins d’écritures, et encore tant à explorer, déterminer celui qui me serait plus favorable, car tout me plaît, m’enchante et me dynamise ! Lorsque les mots piaffent d’impatience, et stimulent ma création, ils virevoltent sur la portée du cahier sans que je sache à l’avance quelle forme, quel genre de ballet littéraire ils souhaitent.

2 Comments

  • Chère Mijo, Ton texte a fait remonté de nombreux souvenirs de mes jeunes années…😉 Je l’ai beaucoup apprécié. Belle journée et merci

    • Bonjour Caroline, merci de ta visite. Les souvenirs de gens passionnées d’écriture, ont souvent en commun des sources similaires 🙂

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