Un pépin peut en cacher un autre.

FRAGMENT 1

8h15 Besoin d’espace, de marcher. L’inspiration  me boude. Je sors respirer l’air frais qui arrache les poumons. PLIC! PLAC! PLOC! Les gouttes de pluie éclatent en sanglots sur les ponts  des bateaux amarrés et jouent aux ricochets sur la surface du bassin Vauban. L’humidité me saisie. TIC!TIC!TIC! Rebondissent les gerbes de cristal sur l’arrondi de mon pépin. La morosité grise du port se réveille dans des larmes d’eau qui s’éparpillent sur les toits et dégoulinent dans les rues, éclaboussent  les chevilles. Le froid me glace les joues, la brume épaisse m’enveloppe d’un manteau d’ouate. Je grelotte. Mes yeux larmoient, mon nez goutte malgré le bonnet et la chaleur de mon écharpe cachemire. S’amoncellent les cumulus nimbus cotonneux. Un arc-en ciel dans l’opacité du ciel.

Un sentiment de paix s’échappe des voiliers en cale sèche pour se refaire une beauté. Les drisses claquent au vent.

Les parfums du port me mènent par le bout du nez, du quai aux venelles de la cité corsaire. Des cageots de poissons, émanation d’une forte odeur de goémon, d’humidité. Filets de pêche attendant d’être reprisés, des lambeaux de fucus vésiculeux incrustés  dans les mailles leur donnent un aspect de dentelles marines. Ici un capitaine emmitouflé dans sa vareuse. Sous son couvre chef de velours, le vent fouette son visage. Déguste un café corsé. Savoure une tartine de pain trop grillée qui croustille. Un joli timbre de voix m’interpelle, le boulanger pousse la chansonnette dans son fournil. Exhalaisons gourmandes. Là une fleuriste installe son étal de poinsettias aux bractées rouges pour la magie de Noël. Le houx frétille, fier de sa renommée pour les futures couronnes de l’Avent. Effluve vanillée s’évaporant des trompettes d’amaryllis réchauffe mes os.

Je slalome entre les flaques de boue. Pas de bottes caoutchouc pour patauger dans la gadoue.

Rue de la soif, écœurée par des relents pestilentiels de vin chaud et tabac froid.

Comment effacer ces pluies de solitudes et d’incertitudes ?

Je fredonne des mots à la lisière de moi, à l’orée de l’autre. Ils trépignent, veulent se faire la belle, vagabonds dans une chanson ou exilés dans une bouteille à la mer. Des espoirs naufragés. Aquarelle de mots tus, racontant des douleurs secrètes de non-dits qui fracturent les vies.

Ecouter les secrets de la vie dans un coquillage qui murmure comment dire non aux gouttes de pluie pour dans ce gris faire une trêve.

FRAGMENT 2

Décembre 2004 à Nouméa.

Noël est synonyme de magie d’illuminations, de décorations, de mets succulents mijotés des heures durant aux odeurs alléchantes, de lectures lovée dans le hamac, sous la véranda bercée par des chants de noël qui emplissent la maison. Tout semble parfait, paisible et pourtant parfois un pépin peut survenir. Une météo qui tourne au vinaigre. Cyclone annoncé pour le milieu d’après midi. Alysson est son nom. Les rafales de vent font claquer les volets, secouent, tournicotent les cocotiers et les massifs de bougainvilliers. Rapatriement en urgence de la table, replis stratégique des décorations et paquets à l’intérieur. Tout à coup plus d’électricité ni wifi. Adieu dinde aux letchis, langoustes grillées, féerie des jardins illuminés. Allumer les bougies. Les agapes seront froides, et frugales accompagnées de pain sec  sur une natte à la flamme des chandelles, étincelantes du bonheur d’être ensemble. Regarder les sillons des gouttes de pluie courir sur les vitres. Frémir aux assauts de l’orage zébrant le ciel. Se blottir les uns les autres, se rassurer par des histoires et légendes rapportées de contrées différentes.

FRAGMENT 3

D’un hémisphère à l’autre Noël est soit sur la plage au soleil ou près d’une cheminée. Par contre la pluie peut être au rendez-vous dans les deux cas. L’eau est un élément qui me fascine, m’apaise, me ressource. Je constate que dans mes oreilles, sur ma peau comme dans mon nez des paroles bavardent. J’utilise un vocabulaire poétique, joue avec les assonances ou allitérations. Sensible au rythme et à la musique des mots, pour écrire j’ai besoin de mouvements, de contacts pour stimuler ma création.

FRAGMENT 4

8h15 le vent me fouette le visage en ce petit matin de décembre.TIC!TIC!TIC ! Rebondissent les gerbes de cristal sur l’arrondi de mon pépin. Je presse le pas. Le froid me glace. Je grelotte. La brume épaisse m’enveloppe alors que mes yeux larmoient et que mon nez goutte, malgré écharpe et bonnet. Je sonne. Un œilleton me dévisage puis la lourde porte, encastrée dans un mur de pierres s’ouvre. De cliquetis de gâches métalliques en CLAC de clés, je chemine de contrôle en contrôle vers un sas où m’attendent des personnes pour la journée. Un quignon de pain dans la besace pour repas. Une forte odeur de tabac froid mêlée à l’humidité des murs vient heurter mes narines. J’éternue. Une toux m’arrache les amygdales. L’air me manque, ma gorge gratte. Je sens des regards inquisiteurs. Une femme sur la coursive, méfiance.

Des  « bonjour » fusent, des poignées de mains s’échangent, des regards furtifs me jaugent. Saura-t-elle suivre le rythme dans la traversée du Mont Saint-Michel ? Est-ce qu’elle s’y connaît en sables mouvants ? se disent les heureux élus pour les 15000 pas vers la liberté. L’impatience se mêle à l’angoissante question : « On part ou pas ? ». Un pépin peut survenir. Enfin la porte s’ouvre.

-Putain! J’avais oublié comme c’est bon de marcher pieds nus!

-Ouais mec. Quel bonheur cette pluie qui cingle la peau.

-Les gars, un arc en ciel.Faites un vœu!

Si marcher est un réflexe instinctif, savourer les sensations du sable froid ou de la tangue s’immisçant entre les orteils devient un plaisir presque jouissif pour un corps privé d’espace et de mouvements. Le  corps se réveille, savoure l’engourdissement qui découle d’une prise de conscience de l’ air iodé qui extirpe les poumons, du froid fouettant la peau. Peau trop longtemps embrassée par la béance noire des murs. Murs aux milles rides, où des graffitis de mots s’habillent d’oripeaux dans le silence opaque des cellules.

6 Comments

  • Toujours sublimes tes écrits

    • Merci Robert, d’être venu me lire! Bonne soirée.

  • Beaux fragments, bien exprimés, très poétiques. Les 5 sens sont décrits à la perfection.
    Un grand bravo.
    Nadine

    • Bonsoir Nadine, merci d’être venue te promener sous la pluie avec moi.
      Bonne soirée.
      Bizh
      Marie Josée

  • Tes descriptions et tes précisions me fascinent.
    Je me délecte de tes écrits qui sont tous bons.
    J’en veux encore !
    Je suis plus qu’admirative !

    • Bonjour Guylène, merci de ta venue sur le blog et de ton enthousiasme pour mes bafouilles. A bientôt.

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