L’automne a chassé octobre et son changement d’heure, arrive les prédictions pour les mois à venir, chez Carnetsparesseux qui nous invite à nous frotter aux sciences occultes et divinatoires.

Deux copines férues de voyances, d’incantations occultes, diseuses de bonne aventure, fascinées par les boules de cristal se préparaient pour un week-end « Astres et tarot » à Vierzon.

─ Youpi c’est vendredi ! Ce soir on prend l’ train pour Vierzon à l’assaut de notre destin. Voyons voir ce que dit notre horoscope.

─ J’ai pas l’temps Chiara, je prends juste ma tasse de café et je file. Je dois préparer les dossiers et les quatre « powerpoints » pour le conseil d’administration de lundi. Regarde pour moi et envoie-moi un texto.

Dépitée, Chiara lu d’abord les prédictions de son signe.

Taureau :

En Amour de belles rencontres en perspectives lors d’un déplacement.

« J’en étais sûre. Mon intuition ne m’a pas trompée. Ce week-end va être décisif pour mes affaires de cœur. »

Sur le plan du Travail un alignement de Jupiter avec Pluton pourrait assombrir voire anéantir vos ambitions professionnelles.

« Mince j’ai mon entretien annuel tout à l’heure, ce n’est pas de bon augure ça. »

Surveiller votre Santé, des excès alimentaires ne serviront pas votre foie.

« Bon j’vais remplacer les Mojitos par de bons crus ou du champagne. C’est un peu plus cher, mais cela devrait me faire moins de mal que le rhum et la tequila. »

─ Voyons voir pour Lou. Alors Poissons, c’est où ? Ah voilà. Tiens c’est sur deux pages, bon commençons par Santé.

Prenez garde à votre colère. La très mauvaise conjoncture Neptune et lune noire, pourrait vous conduire à redevenir poussière.

« Hein ?! Ça veut dire quoi ce charabia ? Redevenir poussière, ça veut dire pourrir sous la terre ou être carbonisée, donc morte ! Mince, c’est pas de chance, faut que l’on consulte Divinita avant de prendre le train. »

Immédiatement, elle envoie un texto à Lou. « URGENCE, question de vie ou de mort. Faut voir Divinita AVANT de prendre le train !!!! »

Ce message avec autant de points d’exclamation que d’émoticônes tête de mort, n’eut pas l’effet escompté par Lou, qui ne prit même pas le temps d’y répondre, préférant rester focalisée sur ses dossiers du conseil d’administration. Depuis ce matin les administrateurs ne cessaient de l’appeler pour apporter une modification par-ci, un schéma par-là, pour la partie qui les concernait.

Lors de la pause méridienne Lou trouva une Chiara, quelque peu agacée.

─ Dis-donc quelle mouche t’a piquée ?

─ J’ai eu mon entretien annuel avec La Cravache. ( surnom de leur cheffe de service, tant elle était aimable et aussi parce que son patronyme était : Lecanasson) Elle m’a fait son plus beau sourire qui découvre ses dents de cheval, pour me signifier que malheureusement je n’aurai pas ma promotion, je passe selon elle trop de temps sur des sites , je cite : « Ésotérique et poudre de perlimpinpin ». Qu’il faudrait que je cesse mes diffuseurs d’encens et que j’arrête de brûler des tubéreuses de mandragore tous les matins pour purifier les énergies. Cela crée une ambiance « hors sol » pour le public que nous recevons.

─ Mince suis navrée pour toi.

─ Et ce n’est pas tout. Qu’est-ce que tu comprends pas dans « URGENCE, question de vie ou de mort ? »

─ Ah ton texto, mais je pensais que tu blaguais. Tu as tendance à exagérer les faits …parfois.

Chiara mis l’horoscope de Lou sous son nez, sur le quel elle avait surligné en orange : « redevenir poussière ».

─ Écoute mon tirage de cartes de ce matin avec « Les licornes magiques » et une agréable surprise va m’arriver. Je dois aussi boire beaucoup d’eau. Donc j’évite les alcools forts ce week end. Ne t’inquiète pas, ce ne serait pas la première fois qu’un horoscope se trompe. Je n’ai pas le temps de consulter Divinita. En plus il pleut des cordes et je n’ai pas pris mon parapluie. Je n’ai pas envie de ressembler à un pingouin tout droit sorti de son bain pour monter dans l’train.

─ Comme tu voudras. Je ne reste pas, je dois aller m’acheter une nouvelle « souquenille », dit Chiara en mimant les guillemets, dixit mon prof de poterie.

─ Une quoi ?

─ Une simple blouse de travail. Il ne supporte plus mes tabliers de fortune en sac poubelle. Le cours étant lundi soir, je n’aurai pas le temps de m’en acheter une, avant. Rendez-vous sur le quai de gare à 19H30 tapantes.

─ Oui je sais que tu es à cheval sur les horaires de train, de ferry et d’avion. Je te pratique depuis assez longtemps très chère pour connaître ta phobie du retard qui nous fait manquer le départ.

***

Lundi matin les deux amies n’en menaient pas large. Tous les intervenants consultés lors du salon « Astres et tarots » rejoignaient l’horoscope de Lou. Elle serait dans les sept jours redevenue poussière. Elles avaient fui toutes les sorties nocturnes, prenaient mille précautions pour monter dans un tram, descendre un escalier, traverser la chaussée. Le matin Lou était sortie du lit, avec un mal de tête atroce et des courbatures comme si elle avait fait du sport de manière intensive. Dans la salle de bains, il lui avait été difficile de lever la jambe assez haut pour entrer dans la baignoire. Thomas son fiancé au petit déjeuner lui avait dit :

─ Dis-donc tu as une sale tête. On dirait même que tu as pris des rides.

─ Suis fatiguée, j’ai dû chopper froid à Vierzon.

─ Pour sûr, avec tes poches sous les yeux et les traits tirés on dirait ta mère.

Lou l’avait foudroyé du regard. Il s’était éclipsé en emportant une banane qu’il mangerait en route. La jeune femme d’un pas lourd s’était traînée jusqu’au miroir du couloir et avait découvert avec effroi des pattes d’oie au coin des yeux et des plis profonds aux commissures des lèvres. En regardant de plus près, son image était devenue floue et elle avait senti au toucher que sa peau n’était ni souple ni lisse.

─ Comment ai-je pu devenir ainsi fripée en 48heures. J’ai vingt-quatre ans et j’en parai le double !!

Chiara s’était bien aperçu de ce vieillissement rapide chez son amie, mais faisait comme si de rien n’était. Elle avait même fait la leçon à toute l’équipe de collègues de garder leurs commentaires pour eux.

Le lendemain, au réveil la situation avait empiré. Dans le miroir de la salle de bains, le reflet de Lou lui avait arraché un cri d’horreur. Ses cheveux étaient devenus gris pendant la nuit et lorsqu’elle passait la main dedans, des poignées lui restaient entre les doigts.

 Affolée Lou avait demandé à Chiara de l’accompagner au cabinet médical. En prenant le tram, Lou s’était vexée lorsqu’un jeune homme s’était levé pour lui laisser sa place.

─ Mais suis pas une vieille grand-mère. J’ai vingt-quatre ans !!

Après une batterie de tests, le verdict du médecin était tombé comme un couperet : ménopause, arthrose, ostéoporose. Les deux amies ne pouvaient pas le croire. Le médecin non plus, quand Lou lui tendit sa carte vitale, compatissant il lui avait fait remarquer qu’elle s’était trompée et lui avait donné celle de sa fille. Lou s’était indignée, elle n’avait pas encore d’enfants. Il avait souri et avec un clin d’œil avait dit qu’elle la lui donnerait la prochaine fois, en lui prescrivant un encéphalogramme en priorité avec un IRM du squelette.

Lorsqu’elle était arrivée à la maison, Thomas l’avait regardé hésitant.

─ Mamie Simone ?

─ C’est sympa. Hier tu me dis que je ressemble à ma mère et là tu me confonds avec ma grand-mère. Y’a pas à dire tu as décidé de remporter le prix du plus mauvais comique.

Lou s’était précipitée aux toilettes mais hélas n’avait les atteindre à temps. Sa vessie n’était pas son alliée dans cette décrépitude soudaine. Thomas lui avait proposé un bouillon, faisant semblant de ne pas remarquer qu’elle avait perdu trois dents dans la journée. Puis devant la télévision, elle avait voulu se lover dans ses bras mais il l’avait repoussé délicatement et avait répondu :

─ Excuse moi mon poussin, mais j’ai l’impression de faire un câlin à mamie.

Vexée Lou était partie sous sa couette et avait sombré dans un profond sommeil. Sommeil si profond qu’elle ne pouvait plus bouger au réveil. Elle avait essayé de parler mais aucun son n’était sorti de sa bouche. Soudain, Thomas s’était penché sur elle et avait poussé un cri de douleur entre ses sanglots.

« Mais qu’est-ce qui lui prends ? on dirait qu’il a vu un fantôme ? Bon c’est peut-être sa façon de me demander pardon pour m’avoir repoussé hier au soir, mais là il en fait un peu trop. »

Il était sorti et Lou s’était rendormie. Un bruit de musique, qui lui avait semblé celui d’un orgue l’avait réveillée. Elle avait voulu parler mais elle était encore muette et s’était sentie très à l’étroit. Comme si elle était enfermée dans une boîte. C’était à cet instant, lorsque la voix de Chiara avait dit :

─ Lou, je ne me résous pas à te dire adieu. Tu as partagé tant de péripéties de filles avec moi, toi mon amie, ma sœur de cœur, ma confidente tu seras toujours dans mes pensées où que tu sois derrière le rideau de la vie, quelque part dans le cosmos.

Lou avait alors remis l’histoire en ordre. Elle avait revu cette scène avec l’administratrice Présidente d’honneur, une vieille bique, toujours habillée en noir, les mains déformées par son arthrose, appuyée sur une canne devant son bureau qui lui faisait refaire pour la quatrième fois la mise en page de son intervention en lui relatant tous ses déboires de santé. Une véritable « cheerleader des Tamalou ». Cela décalait tous les autres, la pagination n’était plus correcte. Exaspérée, et pressée par le temps qui filait et ce train à prendre (c’était pas le jour où elle pouvait faire des heures sup) elle lui avait répondu sèchement qu’à son âge, elle avait tout le temps de préparer sa prestation en amont plutôt que d’attendre le dernier moment. En revanche, elle, Lou, avait une vie professionnelle harassante et une vie sociale trépidante. Donc si on pouvait s’en tenir à une version sans en changer cela serait sympathique. De plus elle était secrétaire de direction et pas assistante sociale. La vieille sorcière, avait fixé Lou de ses yeux noirs, un frisson avait parcouru l’échine de la jeune fille, et la Présidente d’honneur avait marmonné :

-Tu verras, ma belle, tu seras flétrie plus tôt que tu ne le crois. Toi aussi, demain, tu seras poussière.

Moralité : Il n’y a pas de fumée sans feu, même dans les horoscopes.