Savonnette salvatrice.
—Allez on bouge de là! J’ai vu une voiture de flics rôder dans le quartier en revenant de l’épicerie. Jeanne parle précipitamment. Elle est agacée. Hubert leur fait prendre des risques inconsidérés depuis qu’il s’est entiché de Lola. D’ordinaire il s’amuse un temps puis finit par se lasser de cette chair fraîche, et lui revient plus amoureux et tendre que jamais.
—T’as rapporté les savonnettes et les kinder bueno? Grogne Hubert.
—Ouais! Maugrée Jeanne. Suis bonne qu’à me torturer les méninges pour satisfaire les caprices de cette pleurnicheuse. Des savonnettes au lait d’ânesse, se prend pour Cléopâtre cette greluche.
—Ok, on dérape! Magne-toi pour préparer les bagages. N’oublie pas les poubelles, efface nos empreintes sur les poignées. Récure la salle de bains et la cuisine compris ?
—Je sais ce que j’ai à faire! Pour qui me prend-il ? Dix ans de cavale depuis la première esclave sexuelle. Je connais la chanson.
—Mais que fais –tu malheureuse? Doucement avec ses robes. Emballe-les avec soin. Je les veux sans faux plis, ni froissées par ta négligence.
—Cesse de m’abreuver de tes conseils! Occupe-toi d’aller faire le plein de la caisse. Jeanne fais ceci, fais cela. Suis sa femme, pas une gouvernante ou une conchita. Ne peut-elle faire ses bagages la princesse Lola?
—Habille là avec sa tenue rose. J’aime l’éclat de sa peau blanche d’irlandaise que le rose fait ressortir. Ça entretiendra mon désir tout le long du voyage. Surtout coiffe-la avec son bandeau à pois. Ça lui donne un air à la Rita Hayworth. Et n’oublie pas son injection de kétamine. La dose minimale. Juste de quoi la rendre somnolente.
—Le réservoir va pas se remplir de belles paroles! Persifle Jeanne, tandis qu’Hubert s’en va à la pompe.
Jeanne ouvre la porte de la buanderie, où est recroquevillée en position fœtale, Lola, 16 ans à même le sol, une vieille peluche comme oreiller. Doudou de l’esclave précédente, une gamine de 8 ans dont ils se sont vite débarrassés d’un commun accord. Elle a servi de festin de choix aux loups des Cévennes avant qu’ils ne fuient en Bretagne.
—Viens là toi, on change de maison. Mais avant, lave toi avec ce seau d’eau, et n’en fous pas partout. Tiens la savonnette. Quand t’auras fini, mets cette robe, et je te coifferai. Moi aussi j’aimerai avoir un savon doux, de belles robes. Hubert ne me regarde plus les yeux énamourés. Pour moi il est toujours épuisé, jamais pour Lola !
Jeanne s’active tandis qu’Hubert revient, et fait gronder le moteur dans le garage. Grâce à son métier d’agent immobilier Hubert dégote toujours des maisons avec garage communiquant avec la maison. C’est plus discret pour leurs affaires.
—Vous êtes prêtes mes chéries ? On charge la voiture et on s’casse.
Jeanne sent son cœur s’emballer, ses poils se hérissent. « Chérie », il l’a considère donc comme sa chérie, l’égale de Lola.
Durant le voyage vers la Normandie, Jeanne s’abandonne à la rêverie. L’effet de la chaleur du soleil au travers du pare-brise, la berce, quand…
—Lui as-tu mis de l’écran total ? J’aime le grain de sa peau laiteuse.
—Nan, j’ai oublié. C’était trop beau pour durer. Quelle idée aussi d’avoir une peau aussi blanche !
–Quoi ? T’as quoi dans la cervelle ? Pauvre femme. Idiote tu es, idiote tu resteras. Prochaine aire d’autoroute, je m’arrête et t’as intérêt à lui trouver chapeau, lunettes et crème solaire. Suis pas aidé avec toi ! Quel ingrat ! Dix ans que je me plie en quatre pour lui, que j’ai les miettes de son amour. C’est à peine si j’existe. Dix ans que je supporte ses humeurs, que je gère la logistique et l’intendance pour ce bellâtre. Ça ne m’amuse plus ces jeux. Cette peste m’agace. Elle est la source de tous mes sacrifices. A cause d’elle Mon homme me relègue au rang de moins que rien. Comment m’en débarrasser?
Jeanne s’interrompt dans ses plans machiavéliques. Ils arrivent à la nouvelle planque. Magnifique villa surplombant la mer, laissant de grandes ouvertures à la lumière. Les chambres sur deux étages, avec vues au choix : sur la mer ou sur la campagne normande. Hélas Lola ne profite pas de ce panorama. Très vite elle se retrouve dans le froid et l’obscurité du sous-sol.
—S’il vous plaît, j’ai faim puis-je avoir un kinder bueno ? Hasarda Lola avant que la porte du sous-sol ne se ferme.
—Jeanne, où sont les kinder bueno ?
Elle lui tend le sac isotherme.
—Qu’est ce que c’est que ça ? hurle Hubert, découvrant les kinder transformés en pâte à tartiner.C’est pas possible d’être aussi gourde ! Bon qu’elle se rafraîchisse, et rend la moi docile avec la kétamine. Pendant ce temps je vais lui chercher d’autres kinder.
Jeanne descend au sous-sol, et traîne Lola à la salle de bains du premier.
—Douche-toi, et savonne-toi bien. Je reviens.
Alors qu’Hubert retourne à la voiture, Jeanne délaissée, fulmine des humiliations qu’elle subit à cause de Lola. Elle observe son homme à travers le bow window du salon. Attend qu’il sorte la voiture du garage, la gare en face comme à chaque fois, revienne fermer le portail pour ne pas attirer l’attention. La rue est déserte et pourtant en une fraction de seconde, le drame arrive. Hubert occupé à lire un texto est fauché par un camion routier qui ne peut l’éviter.
—ARRRRHHH ! Médusée, Jeanne sent sa vie s’écrouler. Je vais la tuer ! Elle m’a pris l’amour de ma vie avec ses caprices de kinder à la noix ! J’augmente sa dose de kétamine et je serai libre. Une enquête sera faite avec la mort d’Hubert, je ne pourrai être en cavale avec ce boulet de Lola ?
Absorbée par la préméditation de son assassinat Jeanne entre à la volée dans la salle de bains, sans voir le sol savonné par Lola, glisse et tombe lourdement sur le carrelage, sa tête heurtant la faïence du bidet. La seringue roule aux pieds de Lola. Celle-ci prestement la saisie et la plante dans le cou de Jeanne injectant le produit mortel.
Sombrant dans le néant, Jeanne les yeux mi-clos ne peut qu’apercevoir le sourire de délivrance sur le visage de Lola.
Bon récit, bien mené. On tremble jusqu’au bout..
cooki Nadiège, merci de ton passage. 🙂
Très bien écrit….avec belle fin
Merci Robert de ta lecture!
Coucou Marie-Josée,
À défaut de te faire un commentaire sur cette consigne sur la plate-forme (vu que j’ai manquée…), je t’écris sur ton blog. Ce texte est très bon, bien que j’ai honte de le dire, vu les deux psychopathes qui y rodent haha ! Tu as soigné leurs dialogues et leurs identités morales. Cette reprise du texte de Boileau-Narcejac est excellente, surtout avec ces deux tueurs au lieu d’un dans l’idée initiale ! Ton titre prête à attention au premier regard, et quand nous voyons la chute, il est évident et bien trouvé ! Merci pour ce moment de lecture.
Je te souhaite une bonne journée,
Rodolphe
Merci Rodolphe de ta lecture fine et pertinente. Oui beaucoup de nouvelles à lire sur la plate forme? Nous zappons parfois de nouvelles originales que nous retrouvons à la correction ou heureusement sur nos blogs. Merci de tes compliments qui sont des encouragements à poursuivre sur une écriture plus longue.
Bon courage pour cette période qui bouleverse nos comportements et nos façons d’interagir les uns avec les autres.
Mijo
Re-bonjour Marie-Josée,
On a envie de rire malgré la noirceur du sujet. Je retrouve bien la consigne et ton style enjoué. Bravo Marie-JOsée !