Le déménagement de la seconde chance.
Tôt ce matin, le camion de déménagement est arrivé. Derrière ses rideaux Marcelle observe l’animation dans la rue, et le ballet des cartons, des meubles qui s’installent dans la grande maison d’architecture coloniale, avec sa véranda telle une collerette sculptée et ajourée comme de la dentelle. L’arrivée de ce nouveau voisin solitaire dans une bâtisse avec autant de pièces est au cœur de toutes les conversations au café, chez le coiffeur, à la boulangerie, chez le boucher. Depuis que l’agent immobilier a moufeté sur l’identité de cet étranger au passé sulfureux et au casier judiciaire plus fourni qu’un simple jambon-beurre. Edgar le tortionnaire co-détenu du « Monstre de Montmartre, alias Thierry Paulin », sort de quinze années de prison et contre toute attente vient d’obtenir la grâce présidentielle. Tous se demandent comment un assassin, accusé de parricide puisse ainsi obtenir une telle clémence ? Comment peut-on relâcher dans leur petit village de Moindou, d’une île du Pacifique, un tel monstre ? Est-ce parce que justement les habitants sont si loin de toute la hiérarchie qui tire les ficelles de la République, pour les mettre à l’abri de la folie meurtrière d’Edgar ? D’ailleurs n’est pas ce pourquoi le bagne de l’île de Nou a été érigé au moment de la Commune, afin que « les Transportés » telle que Louise Michel et ses compagnons d’arme, « les foulards rouges » soient les premiers locataires des infâmes cellules ou cachots, très loin de la Mère Patrie? Eloigner l’ivraie du bon grain.
Le meurtrier avait séquestré pendant plusieurs jours père et mère, les torturant de moult manières toutes plus répugnantes les unes que les autres. S’amusant chaque soir avec eux avant d’aller dormir. « Vous êtes ma récréation, mieux qu’un film à la noix ! Vous êtes au cœur de l’action et moi je suis le metteur en scène de votre calvaire » ricanait-il.
—Que vient-il faire ici ? Qui embauchera une vermine pareille ? Se tracasse Hubert le patriarche du village au Conseil des anciens.
—Quel exemple pour nos jeunes ! Retords et rebelles nous peinons à les impliquer dans le travail des champs ou à la minoterie de Saint-Vincent. C’est nous mettre le loup dans la bergerie ! Harangue Gustave, le petit chef de la tribu.
Imperturbable au trouble des villageois dont il est la cause, conscient d’être le caillou dans la chaussure, Edgar poursuit son installation, et va même jusqu’à actionner le vieux gramophone trouvé sur place.
S’en est trop pour Marcelle ! Mais pour qui se prend- il ce gougnafier ? Qu’il s’avise à perturber ma sieste avec sa musique à réveiller les morts ? Il va goûter de ma pétoire ! Oh Sainte Mère, préserver nous du Démon !
—Et où a-t-il trouvé le pognon pour acheter cette baraque ! Renchérit Hubert. Dans la France Australe -feuille du choux du cru-, ils disent qu’il s’est acoquiné avec des mafieux en affaire avec les descendants de Spaggiari. On nous déverse dans le village toute la lie de la société parisienne.
Jeanine, surnommée la binoclarde, à cause des loupes cerclées d’écaille qu’elle porte à force d’avoir le nez coller aux livres le jour, la nuit à la lampe à pétrole. Jeanine aime les gens, est férue de philosophie. Elle cite Victor Hugo, ou Voltaire ou un gars nommé Confucius dans chaque conseil des anciens. C’est l’institutrice. Les autres ne comprennent pas tout. Pourtant Jeanine a les mots qu’il faut pour dédramatiser chaque conflit qui vient ternir l’harmonie du petit village de Moindou.
—Savez-vous messieurs qu’un individu ne se résume pas à ses fautes ? Laissons à ce nouveau voisin la possibilité de nous montrer qui sommeille en lui. La bête ou l’homme.
Les jours ont passé, les semaines, et bien qu’isolé dans son antre Edgar attise la curiosité, ou le voyeurisme des villageois, qui persistent à épier chacune de ses sorties, de ses déplacements. Détournant la tête dès que les regards pourraient se croiser. Le plus étonnant, est sans doute sa manière de questionner le guérisseur de la tribu sur les remèdes naturels de la forêt, et des ruisseaux alentours, riches en essences végétales endémiques avec des propriétés médicinales extraordinaires.
—Mais pourquoi mets- tu autant d’ardeur à te familiariser avec notre médecine naturelle ? finit par lui demander le guérisseur.
—Quand j’avais treize ans, j’ai trouvé un chien dans la rue. Il était mal en point, je partageais mon repas avec lui, en cachette bien sûr. Un soir mon père dans sa folie alcoolique et narcotique, lui a tranché la gorge sous mes yeux, puis a demandé à ma dégénérée de mère de le faire rôtir pour le repas du soir. Ils m’ont forcé à le manger quatre jours durant. Maintenant j’ai de l’espace pour accueillir tous les animaux dont plus personne ne veut, avant qu’ils ne finissent à l’abattoir et les soigner avec les plantes, les boues, les graines.
Hello Mijo
Je te lis sur Facebook et je te découvre ici que tu as une inspiration débordante .lance toi dans un recueil nouvelles et poésies .
Par contre j’ai moins aimé ….
Merci Christine de ta venue, mais qu’as tu moins aimé?
Chouettes tu es talentueuses dans les emotions…
Merci Robert de ta lecture:)