Baiser du Pacifique.
Après deux journées à apprendre la respiration ventrale dès l’apparition des premiers signes
d’angoisse, nous arrivions à LA journée, vantée par l’annonce. A la tombée de la nuit nous avions rendez-vous sur la plage. Là, on nous équipa de combinaisons, et on nous demanda de nous laver bras, mains, et
jambes avec une préparation spéciale pour toucher les dauphins. Le secret de cette « aventure océane pour vaincre sa peur » était enfin levé, en plein océan, nous allions nager avec des dauphins. L’animatrice
équipée d’un sifflet à ultra sons, les appela. Quel ne fut mon trouble de voir foncer doucement sur moi, un aileron sombre. Je pataugeais dans l’eau à mi cuisses, jaugeant ma capacité à courir vers la plage, car
l’obscurité ne me permettait pas encore de distinguer dauphin ou requin. La panique s’empara de moi, lorsque revint à ma mémoire la photo de l’expérience de mon ami Christophe, lors de sa plongée en cage pour photographier les mâchoires acérées du requin blanc.
Je sentis ma respiration s’accélérer, une angoisse vint me crisper l’estomac et me nouer la gorge. L’air me
manquait. L’animatrice percevant mon trouble m’enjoignit de ventiler comme nous l’avions appris pendant les exercices de respiration préparatoires, afin de faire face à toute attaque de panique.Des
pélicans sur le ponton à ma droite ouvraient grands leurs becs comme pour se gausser de moi. Tout de même, je n’allais pas être la risée de pélicans! J’inspirais et expirais donc profondément, et sentit la
panique s’apaiser. Mentalement je remerciais aussi mon ami Christophe pour ses conseils pertinents face à la peur, comme de visualiser l’objet du délit minuscule.
Finalement un mâle, le plus gros et sombre du groupe, se dirigea vers moi. Comme cela nous avait été
expliqué je ne bronchais pas, le dauphin étant celui qui choisissait qui viendrait vagabonder dans les vagues avec lui et non l’inverse. Je n’en menais pas large, lorsqu’il s’approcha de moi et se mit à parader
autour de moi en guise d’invitation. Ô surprise, lorsqu’il me frôla le mollet de sa nageoire caudale, je constatais qu’elle n’était pas gluante comme celle d’un poisson, mais de la consistance d’une boîte à œufs en carton. N’écoutant que l’appel du large, je m’abandonnais à son invitation en chopant à pleines mains son aileron, me laissant glisser de tout mon long sur son corps musclé. La féérie commença, après
quelques entrechats afin de s’accorder, le ballet déploya sa magie. Je nageais au milieu de l’immensité accrochée à un dauphin. Quel bonheur que de ressentir cette liberté, avec pour seule limite la ligne
d’horizon. J’étais grisée, tout sentiment de peur balayé par l’ivresse de l’instant si ce n’est la crainte que l’animal ne revienne pas au bord ou pire qu’il ne m’entraîne dans les profondeurs du liquide salé
devenu noir comme l’ébène. Le dauphin sentit sans doute mon trouble, la communion entre nous se faisait de cœur à cœur, si bien qu’il ne tenta pas de plongée. Après une virée de quinze minutes le cétacé rappelé par les ultra-sons, me ramena sur la terre ferme prête à affronter la prochaine étape sur Tahiti comme indiquait dans l’annonce. Je le récompensais comme convenu avec l’animatrice, par quelques maquereaux
frais dont il fit son régal. Il me salua d’un démarrage sur sa nageoire caudale puis il plongea dans l’immensité noire.
Enhardie par cette aventure en duo australienne, je pensais à la suite de cette aventure océane, et qu’à
Tahiti nous nagerions avec des tortues. Que nenni! Dès notre arrivée on nous annonça sur le bateau qui filait à toute berzingue vers Rangiroa que nous devrions plonger dans une eau infestée de requins citrons !
Alors là, je perdis pied dans la belle confiance en moi récemment acquise. D’autant qu’après notre repas sur le fenua, les reliefs de poissons furent jetés aux requins qui se ruèrent sur cette manne
alimentaire. C’en était trop pour moi.
J’entendis les mises en garde cyniques des copines : « Es-tu certaines que toutes les conditions de sécurité
seront fiables ? As-tu pris une assurance rapatriement ? » et, commençais à déchanter de ma prétentieuse témérité. Qu’est-ce qui m’avait ainsi propulsée hors de ma zone de confort? Plonger au milieu
d’une cinquantaine de requins! Etais – je devenue frappafingue? Bien évidement, j’oscillais entre plonger ou m’avouer vaincue. Je recommençais à ventiler, et, piquais au vif de constater que
l’adolescente de quinze ans du groupe avait plus de cran que moi, je fermais les yeux et rejoignais mes compagnons d’aventure par quatremètres de profondeur dans une eau aussi claire que celle de mon lavabo. Lorsque j’ouvris les yeux, nous étions au centre d’un tourbillon de requins qui curieusement ne nous attaquaient pas. Mon répit fut de courte durée, car une ombre immense vint nous cacher le soleil. Nous nous donnions tous la main, plus pour nous rassurer et transmuter en force notre peur commune. C’est alors que nous découvrions avec émotion, une raie manta de quatre mètres d’envergure nager sans même un regard pour nous, si ce n’est un bref mouvement de sa bouche, tel un baiser de star, envoyé aux regards médusés des apprentis guerriers de la peur que nous étions, abasourdis par l’élégance de cette somptueuse reine du lagon. Quelle belle récompense pour avoir oser contrecarrer la peur.
J’adore 🙂
Merci Christophe d’être passée.C’est vraiment sortir de ma zone de confort que de faire ce blog 😉